Littoral
convoité et menacé
Brigitte BERLAND
Le littoral, lieu de rencontre entre la terre et la mer
est caractérisé par une très grande variété de formes et de paysages qui ont
été modelés tout au long des millénaires de l’histoire géologique par les effets
combinés de conditions climatiques jamais stables (alternant chaud et gel,
sécheresse et pluie) et du travail d’érosion effectué par les fleuves et
glaciers. Cependant l’Europe, par suite de sa longue histoire d’occupation
humaine, ne renferme plus d’écosystèmes vierges, inaltérés par les activités
de l’homme. Depuis des millénaires, nature et sociétés humaines se sont
mutuellement influencées.
L’homme
a commencé à avoir un impact sur la nature dès l’instant où il est passé
d’une économie de chasse, de pêche, de cueillette, à une économie marchande
et agricole. Toutefois les zones humides du littoral, marais, lagunes,
plaines deltaïques, de par leur richesse floristique et faunistique, se sont
prêtées et se prêtent encore à ce genre d’économie de prélèvement. Les
conditions naturelles en général rudes (inondations, insalubrité, paludisme)
ont retardé pendant longtemps la colonisation de ces zones, abandonnées
généralement aux parias, aux marginaux et à quelques pêcheurs et éleveurs.
C’est à partir du Moyen Age que pour maîtriser les eaux de surface, qu’elles
soient marines ou fluviales, des aménagements ont été entrepris afin de
développer différentes activités (salicoles, agricoles, conchylicoles,
notamment). Rappelons que c’est à la fin du XIIIe siècle que l’agriculture médiévale
culmine pour régresser rapidement les siècles suivants. Dès cette époque, il
n’y a pratiquement plus de milieux « naturels ». Au fil des siècles,
ces zones naturellement humides se sont transformées sous la main de l’homme
en un territoire artificialisé dont les particularités écologiques sont
désormais liées à la gestion de ces eaux de surface. Ce qui fait dire au
sociologue B. Picon (1988), que si l’on considère généralement que c’est
la société qui transforme ou détruit la nature, on peut également observer,
dans bien des cas que la société peut aussi produire de la nature. Tel est le cas de la Camargue, espace
entièrement artificialisé, que le grand public considère comme un « espace
naturel protégé ».
Les
zones d’estuaires, autres zones humides du littoral, sont également marquées
par l’empreinte de l’homme. Zones de rencontre de l’eau douce et de l’eau salée,
pièges à sédiments, bordés de marais, abris de nombreux oiseaux migrateurs,
les estuaires sont des lieux de passage obligé pour de nombreuses espèces de
poissons (saumon, anguille, mulet, alose) et leurs vasières sont autant de
zones de reproduction des poissons plats. Ces zones sont depuis des siècles,
partout dans le monde, des zones privilégiées des établissements humains,
donc des activités économiques. La principale fonction multiséculaire de
l’estuaire a d’abord été celle d’accès aux «
fronts maritimes intérieurs »
placés en tête d’estuaire (Bordeaux, Nantes, Rouen). Il en a découlé
l’aménagement de chenaux ou la création de canaux latéraux, l’établissement
de digues et d’épis, pour des besoins de sécurité et de nécessité de vitesse
pour les transports maritimes ; les apports sédimentaires et la
divagation des chenaux naturels étaient en effet des obstacles à la navigation.
L’aménagement de ces estuaires a conduit à draguer des quantités énormes de
sédiments qui ont été le plus souvent déposés à terre, et ont accentué les
atterrissements et comblements de la partie amont des estuaires. Ces terrains
gagnés sur la mer, et marécages ont été accaparés par l’agriculture qui
pendant longtemps fut de type extensif, élevage de bovins par exemple.
Après le Moyen Age, le XVIIIe et XIXe siècles représentent à nouveau une
certaine apogée d’occupation agricole du littoral. Les paysages à cette époque constituent une sorte de
perfection (les hommes ont su maîtriser, domestiquer la nature) ils restent
équilibrés à la dimension de l’homme. Cependant vers la fin du XIXe siècle,
l’espace agricole est fragilisé par le développement de la monoculture notamment
le long des côtes du Languedoc. Avec les communications internationales
grandissantes et avec elles l’introduction d’espèces nuisibles comme le
phylloxéra de la vigne cette fragilisation est encore accentuée. La lutte
contre le développement de cette maladie du vignoble oblige alors à
rechercher pour la viticulture des terrains inondables. C’est ainsi que les marges des étangs, les
cordons littoraux dont les sols sableux parraissent adaptés à ce type de
culture sont drainés ou aplanis modifiant la physionomie générale des étangs
languedociens et de la Camargue : tamaris, oliviers de Bohème, cannes de
Provence sont plantés afin de protéger la vigne des vents dominants. Tous ces
aménagements façonnent un paysage totalement nouveau.
Cependant, c’est vers la fin
du siècle dernier, avec la révolution industrielle et technique, qu’est apparu
un nouveau rapport de l’homme au paysage. Les estuaires et leurs zones
portuaires facilitent l’accès et l’échange des matériaux et produits, ce qui
a entraîné l’implantation d’industries lourdes ; celles-ci exigent à
leur tour de meilleures conditions d’accès et encouragent ainsi la
modification des infrastructures portuaires. L’augmentation de la taille des
bateaux a fait déplacer les activités portuaires vers l’aval (Fos, Le Havre,
Donges ) ce qui a eu pour conséquence de recouvrir des milliers d’hectares
fertiles par des remblais stériles. Tous ces développements ont eu un impact
important sur le reste des activités économiques et sur la dynamique écologique
propre des estuaires. L’aménagement s’est souvent fait malheureusement avec
violence. Tout cela a entraîné une urbanisation du littoral, l’impact sur
l’environnement se limitant toutefois à quelques gros noyaux industriels et
urbains mais avec toutes les nuisances chimiques d’origine domestique ou
industrielle qui, le plus souvent, en découlent.
Toutefois,
la cassure profonde date des années 50 et 60, avec le développement de
l’agriculture intensive et surtout l’arrivée du tourisme de masse.
L’agriculture intensive implique une irrigation massive, la nécessité de
drainage, l’emploi de produits phytosanitaires. Tout cela est généralement
facteur de déséquilibres écologiques et
préjudiciable à toutes les catégories socioprofessionnelles exploitant
les zones humides côtières. Avec le tourisme de masse, le littoral se dote
alors d’infrastructures lourdes qui ont un impact essentiel sur le paysage et
sur les écosystèmes fragiles du littoral : autoroutes, bases de loisirs,
centres d’hébergement, marinas, lotissements, complexes hôteliers, ports de
plaisance se multiplient, morcelant le paysage terrestre et empiétant sur le
domaine maritime. Ces aménagements prennent le plus souvent une tournure
conflictuelle.
Ainsi,
le littoral est victime de ses propres atouts qui permirent le développement
de nombreuses activités, jusqu’au point de les compromettre et d’hypothéquer
en retour certaines activités.
Il
a été estimé que, de par le monde, vers les années 2000, la population humaine
occupera une bande côtière étroite d’environ 60 km de large. Déjà maintenant,
en Asie du sud-est, 65% des villes dépassant 2,5 Millions d’habitants, sont
localisées le long des côtes. La France, quant à elle, possède 5 500 km de
côtes dont 800 km d’estuaires, où les activités portuaires, industrielles,
touristiques, agricoles, aquacoles, se répartissent et s’enchevêtrent,
suscitant le développement de l’habitat. La densité de population permanente
y est trois fois supérieure à la moyenne nationale et jusqu’à neuf fois
pendant la période estivale. Cette tendance continue à croître. On estime que
depuis 20 ans environ 20% des zones «
naturelles » des régions
côtières ont disparu ; 20% du sol des communes littorales sont urbanisés
de façon dense et si on ajoute les zones de mitage, c’est plus de la moitié
du littoral français qui est urbanisé. Dans certains départements, comme les
Alpes Maritimes, où l’aménagement est dicté uniquement par le marché foncier,
92% du linéaire côtier est urbanisé ; on en est arrivé à un état d’irréversibilité qui laisse peu
de manœuvre pour la vie collective de demain. A l’heure actuelle, on estime pour les pays bordant la
Méditerranée que 4400 km2, dont 90% dans les trois pays du Nord Ouest, ont
été consommés par les emprises au sol associées aux hébergements touristiques
sur le littoral. C’est tout à fait considérable si l’on songe que la quasi
totalité de cette surface concerne une bande littorale dont la profondeur
excède rarement le kilomètre.. On imagine sans peine, si ce rythme d’urbanisation est
maintenu, l’étendue de la destruction de biotopes d’intérêt écologique
exceptionnel qui en résulterait si de drastiques mesures de protection
n’étaient prises.
Préserver,
restaurer l’environnement littoral constituent une impérieuse nécessité.
Ecosystèmes littoraux. Les menaces, les atteintes.
La zone littorale forme une bande étroite de quelques
centaines à quelques milliers de mètres de part et d’autre de la ligne de
rivage. Cette zone côtière représente environ 8% de la surface terrestre.
Elle est constituée d’une mosaïque d’écosystèmes terrestres et aquatiques qui
présentent un intérêt écologique exceptionnel de par leur diversité, et un
intérêt économique certain.
C’est dans cette zone côtière marine qu’en
raison de l’intensité de la photosynthèse (lumière, sels nutritifs
abondants), la vie marine est la plus intense et s’y concentre. Dans les
autres fonds marins, sauf exceptions, la biomasse est comparable à celle des
déserts. Un grand nombre de communautés biologiques marines s’y sont développées,
aussi diverses que les communautés intertidales, celles des marais, des
herbiers de phanérogames, de grandes algues, des grottes sous marines celles
des mangroves, des récifs dans les zones tropicales, etc. Ce sont les
substrats eux-mêmes dépendants des courants et de la houle qui constituent un
des facteurs principaux qui conditionnent la distribution de ces espèces
benthiques, et donc des paysages sous-marins.
Cependant,
le milieu marin difficile à pénétrer dans sa plus grande partie, a longtemps
protégé les organismes vivant en son
sein des actions anthropiques. La poussée démographique, l’industrialisation
et l’urbanisation font qu’actuellement, en l’espace de quelques décennies,
cette partie du littoral marin est de plus en plus agressée avec pour
conséquence la destruction des habitats. Et ce qui l’a protégé pendant un
temps devient un handicap : des systèmes moins accessibles, ce sont
aussi des systèmes plus difficiles à appréhender (retard de la connaissance
du milieu marin) et qui se trouvent «
loin des yeux, loin du cœur »
pour la plupart des gens y compris les décideurs.
Pollution chimique
Le problème majeur de ces zones littorales marines est la
pollution des eaux par les rejets telluriques (agglomérations, usines, fleuves).
Ces eaux charrient jusqu’à la mer huiles usagées, déchets ménagers, germes
bactériens, matières organiques, engrais, des molécules à risque, métaux
lourds, pesticides, herbicides... L’emploi des biocides est largement répandu
en milieu agricole, urbain et domestique (lutte contre les insectes,
champignons, végétaux,..). Des substances nouvelles de plus en plus actives
et de plus en plus nombreuses sont synthétisées par l’industrie.
Ces
substances provoquent une altération de la qualité de l’eau de mer conduisant
à des effets néfastes sur l’exploitation des ressources vivantes (pêche, aquaculture),
sur la santé humaine (produits insalubres, plages et eaux de baignade polluées)
sur l’économie touristique, et sur la faune et la flore marines, conduisant à
des communautés marines moins diversifiées.
Le problème réside surtout dans
le devenir de ces molécules dans le milieu marin, la difficulté de les
détecter, et la connaissance des mécanismes d’accumulation dans tous les
maillons des réseaux trophiques. Sachant que tous les polluants ne se
comportent pas de la même manière selon les conditions du milieu, que le
métabolisme de chaque espèce introduit également de fortes variations, que
les polluants ne se concentrent pas de la même manière selon les organes des
organismes marins (foie, muscle, rein) on comprend les difficultés à
apprécier les risques encourus par le milieu et les répercussions sur la
santé humaine. Le risque est grand aussi que certaines de ces substances
persistantes et présentes à l’état de traces viennent modifier les caractères
génétiques des espèces. Dans ce domaine, les connaissances sont faibles ainsi
que les moyens donnés aux sciences de l’environnement pour tenter de répondre
à ces interrogations.
En
Méditerranée, on estime que 120.000 tonnes d’huiles minérales, 12.000 tonnes
de phénols, 60.000 tonnes de détergents, 100 tonnes de mercure, 3.800 tonnes
de plomb ainsi que 800.000 tonnes d’azote et 32.000 tonnes de phosphates sont
déversées chaque année par les industries, les exploitations agricoles et les
centres urbains. Le Rhône, à cause des effluents industriels qui s’y
rejettent, est l’une des sources principales de pollution chimique en
Méditerranée occidentale. L’intensification des pratiques culturales en
arboriculture, viticulture et horticulture qui se traduit par une utilisation
massive de pesticides et fertilisants a conduit à une contamination souvent
grave des écosystèmes dulçaquicoles et lagunaires des plaines côtières méditerranéennes.
Il existe de nombreux exemples de mortalités importantes survenues dans les
peuplements aquatiques et les oiseaux. Les pesticides sont devenus un
problème majeur pour la conservation des habitats et des espèces d’oiseaux
migrateurs dans la vallée de la Beka’a ( Liban) et dans l’isthme de Suez (in
F.Ramade, 1991). Sur les côtes françaises, les problèmes de pollution
chimique les plus préoccupants sont ceux des PCB en baie de Seine (et à un
moindre degré au débouché du petit Rhône et en rade de Toulon) et du cadmium
en Gironde, à la fois par les niveaux de pollution observés et par l’ampleur
géographique de la zone contaminée.
La
seule solution est d’éviter la pollution à la source en adoptant des
processus de fabrication propres qui réduisent la production de déchets et
évitent celle des déchets toxiques dans l’industrie ainsi qu’en adoptant une
nouvelle approche globale de l’agriculture plus respectueuse de
l’environnement. Pour les substances chimiques toxiques rémanentes et
bioaccumulables il devrait être mis en place un processus menant à leur
élimination.
Sels nutritifs et
eutrophisation.
Les activités humaines peuvent contribuer à enrichir les
eaux littorales en sels nutritifs tels l’azote et le phosphore. Ceux-ci,
amenés en quantité raisonnable, rendent le milieu plus fertile, plus
productif. Les sites côtiers, tels les embouchures des fleuves, sont en effet
le siège d’activités biologiques importantes à tous les maillons de la vie
aquatique.
Mais
le développement de l’urbanisation et l’intensification des pratiques agricoles
ont donné lieu à une augmentation importante des charges nutritives, et ceci
de façon d’autant plus accentuée que les zones humides qui autrefois
caractérisaient les berges des fleuves et celles des zones côtières ont
disparu. Ces zones humides fonctionnaient comme pièges à particules ;
par ailleurs, elles permettaient, par la prolifération d’une végétation
particulière, d’absorber les éléments nutritifs des eaux, qu’elles épuraient
avant que celles-ci ne parviennent à la mer. Inversement, l’urbanisation a
rendu ces sols imperméables permettant un écoulement plus rapide des eaux
polluées vers la mer. Il en résulte que la surabondance de ces éléments
nutritifs dans les eaux marines, couplée à des conditions particulières
d’ordre géomorphologique, météorologique et climatique conduit souvent à des
déclenchements de prolifération d’algues de plus en plus fréquents, et de
plus en plus intenses. Ce sont ces phénomènes dits d’eutrophisation qui
apparaissent sur nos côtes sous deux formes :
·
Les marées vertes à ulves, qui
encombrent certaines plages et baies du littoral nord de la Bretagne, et entravent
le tourisme ; les ulves envahissent également les lagunes
méditerranéennes du Languedoc aux dépens des herbiers de phanérogames qui
déterminent la richesse halieutique et cynégétique de ces ecosystèmes. Dans
les étangs peu profonds, ces ulves en période estivale, sont annonciatrices
d’une crise de dystrophie aiguë appelée «
malaïgue » ou mauvaises
eaux, qui conduit à une diminution puis disparition de l’oxygène dissous dans
l’eau. Celle-ci devient impropre à la vie de la plupart des organismes
aquatiques et entraîne des conséquences désastreuses pour les productions
halieutiques et aquacoles.
·
Une autre forme d’eutrophisation est la
prolifération de micro-algues qui conduisent aux colorations jaune, vert,
rouge, des eaux côtières. Ces proliférations sont parfois si intenses,
qu’elles conduisent également à un déficit très prononcé des eaux de fond en
oxygène dissous, et entraînent la mort de la faune marine. Ces phénomènes
localisés se produisent généralement dans des baies ; mais récemment,
ils s’amplifient et s’étendent sur des surfaces marines beaucoup plus
étendues, notamment en mer du Nord, et dans le bassin nord de la mer
Adriatique. Les caractéristiques hydrodynamiques de la mer Adriatique, sa
faible profondeur, les quantités énormes d’éléments nutritifs relargués par
le Pô, et les effluents domestiques d’une côte surpeuplée en période
touristique, favorisent les floraisons exceptionnelles d’algues planctoniques
dont certaines sont parfois toxiques (ce qui oblige à interdire la vente des
coquillages). Des conditions climatiques inhabituelles ont conduit en 1989 à
une crise d’eutrophisation extrêmement sérieuse mettant en danger la saison
touristique et les activités de pêche sur plus de 100 km de côtes italiennes.
La formation de masses gélatineuses excrétées par les algues et bactéries,
rendant la mer sale (« sporco mare »),
colmatant les filets de pêche, interdisant toute baignade, a fait fuir les
touristes.
Les
proliférations d’algues toxiques s’observent aussi le long des côtes françaises,
ce qui oblige à une surveillance particulière sur les sites conchylicoles et
mytilicoles pour déceler la présence de certains dinoflagellés responsables
de gastro-entérites (Dinophysis) ou
parfois de paralysies pouvant entraîner la mort (Alexandrium) ainsi que la présence de toxines dans les
coquillages. A dire vrai, ces phénomènes de toxicité existaient bien avant
l’urbanisation et l’industrialisation des côtes mais ils semblent s’amplifier
en intensité et fréquence. Cependant, il serait hasardeux d’ imputer certains évènements toxiques à une
diminution de la qualité des eaux littorales. Le débat est encore ouvert chez
les spécialistes : le manque de données sur une longue période de temps,
une connaissance scientifique encore partielle de ces phénomènes ne permettent
pas de conclure.
Pour
ce genre de pollution, l’action passe par un effort soutenu en matière de
traitement des rejets aqueux, mais surtout par la généralisation de modes
d’exploitation agricole plus respectueux de l’environnement.
Pollution
bactérienne.
Une autre pollution préoccupante est la pollution
bactérienne. Les effluents domestiques, en partie épurés par des stations
d’épuration de type physicochimique, déversent encore une grande diversité de
microorganismes, virus et bactéries, notamment des pathogènes. La baignade,
mais surtout la consommation de coquillages sont susceptibles de mettre
l’homme en présence de ces germes pathogènes. Des efforts de collecte, de
traitements d’eaux usées ont été faits et ont amélioré bien des sites. Cependant,
des zones restent insalubres, dans lesquelles les coquillages ne peuvent être
élevés, ce qui limite actuellement, avec la pollution chimique,
l’implantation de nouveaux sites aquacoles.
Des solutions sont proposées : le
lagunage en est une. L’ennui c’est qu’il faut environ un hectare pour 10 000
habitants, ce qui pose un problème foncier, mais cela peut créer, bien
aménagés, des plans d’eau avec végétation agréable, propices à l’installation
de toute une faune. Certains proposent, si on ne peut mieux épurer les effluents,
de les rejeter en profondeur au-delà de cent mètres. Le frein est alors
d’ordre financier. D’autres préconisent de réutiliser ces eaux pour divers
usages (arrosage de golfs, pelouses, stades) solution qui pourrait être envisagée
dans les zones déficitaires en ressources naturelles d’eau, notamment dans
les zones insulaires. C’est le cas de la station pilote de Porquerolles en
Méditerranée.. On a installé là une station d’épuration biologique avec, à la
sortie, un système de lagunage composé de trois bassins en série figurant un
paysage d’étangs. Les eaux traitées issues du lagunage sont utilisées pour
l’irrigation de vergers. Ce système paraît-il fonctionne depuis huit ans sans
impact négatif sur la qualité des eaux souterraines ou superficielles ainsi
que les sols, sur la santé du personnel chargé d’irriguer, et sans provoquer
de nuisances particulières comme des dégagements de mauvaises odeurs.
Certes,
dans la réutilisation des effluents urbains, des problèmes sanitaires,
d’impact de la qualité fertilisante de ces eaux sur la végétation et les
sols, de la salinisation par irrigation, doivent être résolus. Mais dans les
pays méditerranéens, où les problèmes de ressources en eaux se posent de plus
en plus, cette solution s’inscrit clairement
comme un des moyens de gestion globale de la ressource en eaux. C’est un
moyen aussi de limiter les risques d’incendie et d’érosion des sols tout en
préservant les zones littorales.
On peut espérer que les
S.A.G.E. (Schéma d’Aménagement et de Gestion des Eaux) qui sont en cours de
mise en place avec la nouvelle loi sur l’eau (1992) puissent l’être
rapidement et que les agences de l’eau se mobilisent plus sur la partie
maritime et littorale de leur bassin. Cette loi fait de l’eau un patrimoine
commun de la nation, et instaure la création d’un nouveau système de
planification de la gestion de l’eau. Encore une fois quels usages en
fera-t-on ? Souffriront-ils, comme beaucoup de structures mises en place
dans le passé, d’un manque de démocratie et de transparence.
L’urbanisation
Mais ce qui dégrade plus intensément et de manière
irréversible le littoral, la nuisance principale, demeure le béton. La partie
marine du littoral en souffre mais c’est surtout la partie terrestre qui est
complètement dégradée par cette frénésie de bétonnage.
On
assiste actuellement à un recul spectaculaire de la ligne de côte et à une détérioration
de notre patrimoine écologique, touristique et économique. Sur les 5500 km de
notre littoral, 850 km sont soumis à un recul moyen de plus d'un mètre par
an. Combiné à des tempêtes exceptionnelles de grandes marées, le recul a pu
atteindre dans certaines zones (Somme, Etretat), 15 m en quelques jours.
Comme toujours, les causes de ces érosions sont multiples : courants,
marées, houles auxquels s’ajoute une lente remontée du niveau de la mer
depuis 10.000 ans mais aussi dans certaines zones des phénomènes de
subsidence du continent. La zone littorale, en effet, est en constante
évolution, les rivages sont naturellement instables. Les estuaires et les
deltas évoluent au gré des apports de sédiments lors des crues, des reculs
sont observés lors de tempêtes et de raz de marée.
Mais,
là encore, les interventions humaines, sur les fleuves notamment, accélèrent
ces processus : extraction des matériaux, dragages d’entretien,
barrages, ont réduit les apports terrigènes en mer. Aux Saintes-Maries-de-la-Mer, en Camargue, on a constaté un
recul de la côte de 450 m depuis 1942, et les collectivités locales doivent
combattre cette tendance érosive par des digues, épis, immersion de
brise-lames avec un succès pas toujours évident.
Par
ailleurs, en Méditerranée, les aménagements aberrants, les endigages, les
plages artificielles, les ports de plaisance ont détruit ou modifié une
tranche de vie marine la plus importante entre zéro et vingt mètres. Des
hectares d’herbiers de posidonies, véritables pouponnières pour les
poissons, ont disparu sous les
aménagements. Ces ouvrages modifient la dynamique des courants côtiers,
amenuisent les transports de sédiments ; en conséquence, les plages
coupées de leur alimentation livrées à l’érosion marine, reculent. De même,
les infrastructures routières et ferroviaires, situées à proximité de la
ligne de côte, sont responsables de l’arrêt des processus naturels
d’édification et d’évolution des rivages. Cela peut conduire à une érosion
importante de la côte. C’est le cas sur le tracé de nombreuses voies ferrées
en Italie.
Or,
les écosystèmes littoraux continentaux, c’est-à-dire ceux de la frange terrestre
influencée peu ou prou directement ou indirectement par la mer ou sa
proximité, comprennent toute une série de biotopes caractéristiques, tels que
les dunes, les vases salées, falaises,...La zone des embruns et des marées
exceptionnelles (étage supralittoral) présente des communautés d’espèces
exceptionnelles, lichens maritimes, plantes halophiles et psammophiles,
espèces de tourbières, etc. Elle accueille également des oiseaux marins,
tributaires de la terre ferme pour se reproduire, au minimum, durant la phase
d’incubation. La zone intertidale ou estran (frange soumise au balancement
des marées) est connue pour sa richesse biologique en invertébrés et en
oiseaux. Les limicoles (petits échassiers) et certains Laridés, dépendent
étroitement de cette zone. De même les oiseaux en migration et en hivernage
sont également tributaires de la zone marine littorale. Les écosystèmes
dunaires, quant à eux, sont les premiers menacés par la pression
d’urbanisation et d’aménagement touristique du littoral. Or, ces dunes abritent
de véritables trésors floristiques, des associations végétales rares, souvent
même endémiques. Il a été estimé que près de 17% de la flore littorale est
actuellement en danger. En raison de la grande fragilité des biotopes
littoraux et l’amplification accélérée des menaces, il est malheureusement
probable que ce pourcentage n’augmente rapidement dans l’avenir. En effet
1/10 de la flore n’existe, en France, que sur le littoral, c’est-à-dire sur
1/10.000 de son territoire. Leur localisation en bord de mer les rend
particulièrement vulnérables par suite de piétinement dû à la
surfréquentation balnéaire, de morcellisation des espaces naturels et de
destruction pure et simple consécutive aux opérations immobilières en bordure
de mer.
On
constate d’autres nuisances consécutives à ce bétonnage intense. Ainsi, dans
les Alpes Maritimes, l’urbanisation quasiment continue entraîne naturellement
des besoins de communication avec des
atteintes à l’espace dues à l’élargissement, la modernisation des voies de
communication. On va jusqu’à doubler les routes en utilisant les lits majeurs
des rivières (Var), voire le lit mineur, ce qui entraîne des catastrophes
naturelles. L’afflux touristique également provoque un phénomène de
banalisation des paysages avec un affichage débordant, panneaux gigantesques
et mobiliers publicitaires encombrants, notamment aux entrées des villes.
Cette
phase d’aménagement massif semble cependant terminée. On observe un certain
retournement de la demande : cette consom-mation d’espace de paysages
dilapidés par des constructions d’architecture le plus souvent médiocre a
entraîné la perte de leur identité et de leur attractivité pour les
touristes. On constate ainsi de véritables friches dans des régions pourtant
ensoleillées comme les Canaries. Le risque reste néanmoins élevé. La crise
qui secoue les activités traditionnelles, notamment agricoles, tend à une
monoactivité touristique sur le littoral, qui en l’absence de concurrence
voit son pouvoir se renforcer vis-à-vis des autorités publiques.
Pour
le professeur Ramade, un effort considérable de créations de nouvelles zones
protégées est indispensable notamment dans toutes les aires d’endémisme. Cependant,
les politiques de conservation du territoire ne doivent pas négliger les
parties du territoire non destinées à la protection. La conservation doit
faire partie intégrante des politiques d’aménagement agricole, forestier et
pastoral. La condition première indispensable est le maintien des activités
rurales en zone littorale
Des mots-clefs :
développement durable, respect de l’environnement, démocratie.
L’espace
littoral est donc devenu en un quart de siècle un espace rare convoité par de
multiples utilisateurs souvent concurrents. Il est soumis à de fortes
pressions foncières qu’accentue la crise des activités traditionnelles.
La
décentralisation a réparti davantage de compétences aux responsables locaux
pour l’aménagement du littoral. Mais qu’en ont-ils fait ? Les plans
d’occupation des sols (POS), la délivrance des permis de construire, la
possibilité de créer, d’aménager et d’exploiter des ports de plaisance
rentrent maintenant dans les prérogatives des communes littorales. Or, depuis
près de quinze ans, 1% des espaces naturels littoraux continuent à
disparaître chaque année.
Si
un certain nombre de maires refusent l’urbanisation à outrance, et défendent
le patrimoine naturel de leur commune, beaucoup ne peuvent ou ne cherchent
pas à résister aux promoteurs. Pourtant, les communes sont dans l’obligation
de se conformer à la législation sur les espaces sensibles et d’intérêt
général définis par les départements, aux prescriptions régionales
d’aménagement et d’urbanisme et aux dispositions prévues par la loi du littoral
du 3 janvier 1986.
Mais
ces dispositions de la décentralisation sont limitées par les moyens des
communes, leur réticence à mener des coopérations intercommunales
indispensables à tout aménagement d’ampleur. Il faut dire également qu’une
commune qui décide de geler un terrain ou qui possède de nombreux espaces
naturels nécessitant un entretien se trouve pénalisée par rapport à des
communes voisines qui ont réalisé des aménagements touristiques tirant profit
de l’attractivité des lieux. Il est indispensable de trouver des mesures
compensatoires entre communes comme les moyens de faire participer les
opérateurs privés qui bénéficient directement des sites naturels aux charges
supportées par les communes. Aujourd’hui, les modalités de calcul de la
dotation financière de l’Etat aux communes favorisent celles qui multiplient les
places de parking et l’urbanisation aux détriments de celles qui préservent
les espaces naturels.
Réviser
ou modifier un POS est un jeu d’enfant. Le recours à la procédure de révision
est très fréquent. Dans les Alpes-Maritimes, en 1990, sur 109 POS approuvés,
56 étaient en révision. Et ce sont paradoxalement les espaces les plus
sensibles qui se trouvent touchés par l’instabilité des POS.
Un rapport du Conseil d’Etat daté de 1992
sur l’urbanisme constate que : «
La réunion de facto entre les mêmes mains d’instruments multiples a affaibli
la perception de la finalité de chacun. Editer une règle et l’appliquer sont
deux fonctions distinctes dont la seconde est logiquement subordonnée à la
première. Mais, lorsque l’autorité qui délivre les permis est aussi celle qui
peut provoquer la modification de la règle en fonction de laquelle les permis
sont délivrés, comment, en présence d’un projet non conforme à l’état actuel
de la règle, ne serait-elle pas, contexte local aidant, tentée de provoquer
la modification de la règle. Ce n’est plus alors le projet qui s’adapte à la
règle, mais la règle qui s’adapte au projet ; et modifier la règle est
perçu comme une façon de l’appliquer ».
«
Tout homme qui a du pouvoir est porté à en abuser. »
(Montesquieu)
D’autre
part, le flou des textes, leurs imprécisions, facilitent les abus, les
conflits et une urbanisation illicite qui n’est que trop rarement remise en
cause par l’Etat. En particulier, les zones dites NA, c’est‑à‑dire
zone d’urbanisation future, nourrissent une stratégie de grignotage. En
effet, lors de la révision des POS, de vastes zones sont classées NA avec la
promesse de définir de larges coupures naturelles dans les futures
négociations. « On désarme
ainsi les opposants obligés d’attaquer une absence de projet formulé. On
laisse le temps faire son œuvre, les esprits s’habituer à une urbanisation
future. Quand il sera l’heure de présenter le projet, ce dernier pourra se
prévaloir d’une légitimité du droit acquis. »
(Rapport Actour, 1988).
Pour
tout projet d’ouvrage ou de travaux conséquents, le législateur impose une
étude d’impact qui a pour objet de permettre d’apprécier, dans la
transparence et la clarté, les conséquences des ouvrages sur le milieu naturel ;
cependant, sa portée est limitée par le fait que l’enquête arrive en fin de
procédure, et qu’en tout état de cause, l’étude d’impact n’interdit rien et
ne comporte pas de règles obligatoires pour les intéressés. Cette procédure
générale est donc loin d’assurer une protection efficace de l’environnement
littoral.
La
loi « littoral »
de 1986, par contre, pose des règles contraignantes. Cette loi met en relief,
à la fois un volet «
protection » et un autre
de « mise en
valeur » du littoral.
Or, il semble bien que sous la montée de la sensibilité «
écologique », cette loi a
plutôt été interprétée et appliquée avant tout comme une loi de protection.
Certains articles sont particulièrement importants pour la protection du
littoral :
·
L’extension de l’urbanisation, soit en
continuité avec les agglomérations et villages existants, soit en hameaux
intégrés à l’environnement .
·
La nécessité de prévoir des coupures
d’urbanisation pour éviter précisément une urbanisation linéaire.
·
Le principe de l’inconstructibilité
totale dans la bande littorale des 100 m dans les espaces non encore urbanisés.
Mais la portée de cette loi est limitée par un certain
nombre d’imprécisions, le flou de certaines notions, ce qui génère un nombre
croissant de contentieux. En particulier, il est difficile de saisir la
portée exacte de la règle précédente (inconstructibilité) dans les secteurs
littoraux où l’urbanisation est diffuse et le mitage souvent avancé.
Par
ailleurs, cette loi, pourtant modérée, a toujours été assez régulièrement violée.
Les pressions ne diminuent pas ; ce qui n’a rien d’étonnant dans la
mesure où s’installe une monoactivité touristique liée à la présence
d’espaces naturels, qu’elle dégrade et morcelle par son développement. Elle
fait donc aujourd’hui l’objet d’un nombre croissant de critiques,
principalement de la part d’élus locaux.
Il y a quasi inexistence du contrôle de
légalité des actes des collectivités locales en matière d’urbanisme : le
Conseil d’Etat fait remarquer une absence presque complète de déférés
préfectoraux, en moyenne trois par an et par département (soit 270) pour
l’ensemble des actes (~730.000) pris en application du code de l’urbanisme.
Cette situation, dit le Conseil d’Etat, discrédite l’Etat, incapable de
remplir une mission qui est manifestement la sienne.
Non
efficace en ce qui concerne la protection de l’environnement, qu’en est-il de
l’autre volet, celui de la mise en valeur du littoral, la préservation et le
développement des activités économiques liées à la proximité de l’eau ?
Ces
différentes activités devaient être planifiées dans le cadre des Schémas de
Mise en Valeur de la Mer (S.M.V.M.). On passe ainsi d’un territoire à
l’échelle de la commune à celui d’une unité géographique plus vaste. Les
contraintes d’une telle planification, la multiplicité des acteurs, le manque
de volonté de part et d’autre, expliquent que les S.M.V.M. sont quasi
inexistants.
Les
mécanismes traditionnels du marché s’avèrent inadaptés pour déterminer
l’affectation des espaces naturels ou non urbanisés encore disponibles. Il
n’est pas plus envisageable de laisser faire le mouvement actuel
d’urbanisation que de geler purement et simplement l’ensemble des espaces en
prônant la croissance zéro.
Il
convient de concevoir un développement compatible avec l’environnement, ou
plus précisément des formes multiples de développement compatibles avec la
diversité des milieux naturels. En cela, l’objectif des S.M.V.M. reste
d’actualité pour engager des réflexions globales entre les acteurs multiples
pour un aménagement harmonieux. Tout dépendra de comment va s’engager la
concertation. Cela nécessite la plus grande transparence des projets, la plus
grande démocratie. Cela ne peut se faire sur des bases clairement définies
identifiées, qu’à condition de mener à bien les controverses scientifiques
afin d’alimenter objectivement le débat public.
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Secrétariat d’Etat à l’Environnement méditerranéen. Documen-tation
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Troisièmes
Rencontres de l’ARPE-PACA
(Actes) Les technologies pour la
maîtrise de l’environnement en Méditerranée, 1992.
Ramade F.
Conservatoire des écosystèmes méditerranéens (enjeux et perspectives). Les
Fascicules du Plan Bleu III. Economica, Paris, 1991.
Gachelin
C. Pour un plan stratégie intégré
du littoral français. Datar, Paris, 1992.
Becet J.M. L’aménagement du littoral. PUF, Paris,
1987.
Actour — Utilisation et adéquation de la
réglementation face à l’urbanisation du littoral, 1988
Equinoxe n°32 —
Environnement littoral, 1990.
Conseil d’Etat —
L’urbanisme : pour un droit plus efficace. La documentation française,
1992.
Naturellement n°44,
octobrenovembre 1992. Littoral en complet béton
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