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HISTOIRE DES CRUES DU RHONE Alain Pelosato Dans sa remarquable thèse intitulée : « Le thème de l’eau dans la vallée du Rhône », Jacques Bethemont signale que « Au cours des vingt premières années du siècle, le décompte des grandes crues de l’Europe occidentale attribuait quatorze crues remarquables au Rhône, contre quatre à la Seine et à la Loire, une à la Garonne, cinq au Pô et deux au Rhin. » Voilà donc qui justifierait la réputation de notre fleuve. On peut, avec Jacques Bethemont distinguer quatre types de crues sur le Rhône. Les crues océaniques hivernales sont produites par des pluies abondantes tombant sur la partie du bassin située au nord de Montélimar. L’exemple caractéristique est la crue de 1955. Il a plu continuellement du 11 au 17 janvier. Les crues cévenoles résultent des pluies d’origine méditerranéennes, affectant le sud du bassin, remontant jusqu'à Tournon, et plus rarement, jusqu’au sud de Lyon. Ainsi, le 22 septembre 1890, l’Ardèche roulait un débit de 6500 m3/s ! On peut comparer avec l’étiage de cette rivière : 2,5 m3/s ! Ces crues sont relativement brèves comme celle, paraît-il typique, du 3 août 1963. Les crues méditerranéennes extensives, surviennent le plus souvent entre le 25 octobre et le 15 novembre, avec quelques exceptions en début de printemps. C’est en quelque sorte, une conjonction des pluies océaniques et méditerranéennes. Telle était la crue du début novembre 1963. Les crues générales, conjonction des trois précédentes, se sont produites en 1840 et 1856. L’histoire des crues du Rhône est inséparable de celle de l’évolution de sa morphologie et de celle des variations météorologiques. Ainsi, on parle de petit âge glaciaire qui s’est étendu du quatorzième au dix-neuvième siècle, avec un maximum entre le seizième et le dix-huitième. Et ce n’est pas un hasard si cette période a vu les grandes épidémies de peste et les famines... Elle a vu aussi une aggravation des crues. D’autre part, on constate encore un ralentissement considérable des crues au cours du siècle précédent. Ainsi, le nombre de mois de crues par décennie a été divisé par trois de 1850 à 1950. Dans notre présent, on croit déceler une autre évolution climatique, avec des pluies plus rares, mais plus abondantes et plus violentes, des hivers plus secs. Cela pourrait modifier l’hydraulicité du fleuve... Ces évolutions météorologiques n’ont pas été sans effet sur la morphologie même du Rhône qui est ainsi passé en nombre d’endroits de son cours, d’un tracé en méandres à un tracé en tresses, montrant ainsi que la nature est bien loin d’être immuable, et que bien souvent, c’est l’intervention de l’homme qui est là pour la stabiliser. Ces changements de physionomie fluviale n’ont pas été eux-mêmes sans conséquences sur les inondations qui affectent ainsi d’autres territoires après déplacement du lit du fleuve. La crue de référence utilisée aujourd’hui est celle de 1856. C’est la première pour laquelle on a vraiment mesuré les débits. C’est aussi celle qui a fait le plus de dégâts. Mais, les spécialistes s’accordent à dire que la crue de 1840 a été la plus importante. Pourquoi celle de 1856, qui a eu un débit moins fort, a-t-elle fait plus de dégâts et a occupé plus de surface de terres inondées ? La construction de nombreuses digues a eu une conséquence inattendue : le fleuve manqua de place lors de la grande crue de 1856 et il déborda encore plus qu’en 1840. Cela fut très bien compris par les pouvoirs publics et la loi du 25 mai 1858, promulguée donc deux ans après la crue, interdit toute modification des réservoirs naturels d’expansion de la crue à l’amont des grandes agglomérations... Après la crue de 1840, fut créé le service du Rhône qui construisit, après 1856, de nombreuses digues hautes et discontinues qui s’abaissaient vers l’aval pour laisser la crue envahir doucement les terres en remontant vers l’amont. Ainsi lors des grands débits, le fleuve pouvait s’étaler dans la direction choisie par l’homme. Entre 1860 et 1880, 280 kilomètres de digues furent élevées de Lyon à Beaucaire et 300 kilomètres à l’aval de cette ville. Cette grande œuvre comprenait également l’endiguement complet de la Camargue. De nos jours, l’œuvre de la compagnie nationale du Rhône a apporté des améliorations considérables en écrêtant les crues moyennes. Non pas, comme certains le croient, en retenant l’eau avec des barrages, mais en ayant quasiment doublé la contenance du lit du fleuve par le creusement des canaux de dérivation. Mais, lorsque tout est plein (le vieux lit du Rhône et les canaux...) le fleuve déborde quand même. C’est pourquoi, il faut encore lui préserver des champs d’expansion des crues, comme on l’a constaté lors des crues de 1993 et 1994. Doit-on pour autant croire que la crue de 1840 fut la plus importante de l’histoire du fleuve ? Certainement pas. Et des auteurs citent des dates, comme celle du 12 novembre 1548, citée par Jacques Bethemont à notre colloque d’Avignon de 1994. A cette date, la crue atteignit 8,45 mètres à l’échelle de Saint-Bénézet, contre 7,83 mètres en 1856... Sur cette base, monsieur Pardé évaluait à 16 000 mètres cube par seconde le débit de la crue millénaire. « Le pire resterait donc dans l’ordre des choses possibles. » Affirmait Jacques Bethemont. A ma connaissance, ce fut Grégoire de Tours, vieux chroniqueur des Francs, qui cita la première date de crue du Rhône. Il parlait d’une crue mémorable simultanée de la Loire et du Rhône en... 580 ! Je le cite : « Le Rhône, qui se joint à la Saône, sortit même de ses rivages, au grand dommage des peuples, et renversa une partie des murs de la ville de Lyon. » En ce sixième siècle, Grégoire cite encore de nombreuses dates de crues, mais sans préciser le nom des fleuves. Certains n’y voient que la pudeur de ne pas citer la Loire. Moi, je pense que bien souvent, il s’agit aussi du Rhône et de quelques autres. Ne soyons pas sectaire ! Les hommes ont toujours cherché un responsable des inondations. Souvent fut accusé le déboisement, vaste chantier de production de bois du Moyen Age. Un journaliste de 1856, Maurice Champion, montre assez facilement qu’il est faux de mettre en accusation cette activité humaine pour expliquer les crues, comme cela s’était fait après 1856. Je le cite : « La plus grande partie du territoire, aux sixième et septième siècles, était couverte d’épaisses forêts ; (...) cet état de choses exista longtemps ; (...) le défrichement des terres s’effectua avec lenteur, et cependant nous n’en voyons pas moins apparaître les inondations d’une manière fréquente et formidable ; elles devaient même se faire sentir à intervalles rapprochés, si l’on en juge par les divers fragments de Grégoire de Tours. » Que cette remarque, faite en 1856 — je le rappelle — apparaît comme encore actuelle ! D’ailleurs, le rapport de synthèse de la mission interministérielle sur les crues du Rhône (mai 1994) ne dit pas autre chose : « Les crues du Rhône et du réseau de ses affluents sont des évènements naturels. Il convient en conséquence de souligner, avec force, le danger permanent qu’elles représentent sur tout ou partie du sillon rhodanien. » Mais revenons à nos chroniques du temps passé : elles citent de nombreuses inondations sans nommer les fleuves ou rivières. C’est ensuite en 1226, qu’on y voit apparaître le Rhône comme responsable de crues catastrophiques, causant des dommages considérables à la ville de Lyon, mais surtout à celle d’Avignon qui venait juste de subir le siège de l’armée royale de Louis VIII. Ensuite, je cite les dates telles qu’elles apparaissent dans les documents : 1338, 1356, 1362, 1375, 1408, 1421, 1433, 1471, 1476, 1501, 1544, 1548, 1561, 1570, 1571, 1573, 1578, 1580, 1590. Celle qui est relatée comme la plus effroyable de toutes date de 1570. Il est difficile de prendre ce type de témoignage comme argent comptant. D’abord, parce que la crue n’est pas toujours présente sur l’ensemble du bassin, comme nous l’avons vu plus haut. Ensuite, on n’a peut-être pas parlé de crues encore plus terribles parce que, tout simplement, aucun chroniqueur ne l’a relaté en son temps. Ce qui est sûr en tout cas, c’est que les crues furent très nombreuses au Moyen Age et qu’elle furent bien moins fréquentes depuis le dix-neuvième siècle.... Les crues de 1993 et 1994. Le Rhône et ses affluents ont connu en octobre 1993 une crue cinquantennale de Lyon à la Mer et centennale au sud du confluent avec la Durance en 1994. Le débit de la crue de janvier 1994 est le troisième plus important depuis deux cents ans, après celui de la crue de novembre 1840 (13 000 m3/s) et de celle de mai 1856 (12 500 m3/s). Lors de ces deux crues historiques, la totalité du delta de Camargue fut inondée. INONDATIONS DE JANVIER 1994
(1) Mission interministérielle pour la préparation du dispositif d'indemnisation, hors dommages domestiques, mais y compris les crédits d'urgence pour les digues du Rhône et de la Durance. (2) Faibles inondations dues aux affluents. (3) Hors travaux sur les digues de Camargue inclus dans l'estimation des dégâts de 1993. INONDATIONS DE SEPTEMBRE/OCTOBRE 1993
(1) Mission interministérielle pour la préparation du dispositif d'indemnisation, hors dommages domestiques. (2) Faibles inondations dues aux affluents. DEBITS MOYENS HORAIRES MAXIMAUX ESTIMES entre le 1er Septembre et le 10 Octobre
1993
CNR DIRECTION DE L'EXPLOITATION Division hydrologie et mesures DEBITS INSTANTANES DE L'ANNEE A TERNAY SUR 46 ANNEES DE DONNEES
COMPAGNIE NATIONALE DU RHONE
ATTENTION Toutes les dates commençant
par 01/01 sont incertaines en ce qui concerne le jour et mois DONNES CHIFFREES SUR LES CRUES DE L'AUTOMNE 1993 ET DE JANVIER 1994 (D’après l’étude
interministérielle) 1) Crues d'automne 1993 : 22/23 septembre 1993 : Des trombes d'eau affectent le Vaucluse, les Bouches-du-Rhône et le pays Aixois où une intensité maximale de précipitation de 207 mm en trois heures est atteinte (période de retour supérieure à 50 ans). En Vaucluse, violente crue de la rivière l'Eze à Pertuis. 30 septembre 1993 : En Vaucluse, le Lez est en crue d'ordre cinquantennal. La ville de Bollène est recouverte par près de deux mètres d'eau. Depuis 1951, cet affluent du Rhône n'avait pas connu une telle crue. A partir du 5 octobre 1993 : La Durance évacue au plus fort de sa crue 1880 m3/s, débit qui eût été majoré de 500 m3/s sans l'action bénéfique des retenues sur la Durance et le Verdon. 10 octobre 1993 :
Une vingtaine d'heures après la crue de la Durance, la Camargue est la dernière victime des crues d'automne 1993. Le 10 octobre s'ouvre une brèche dans la digue de Figarès le long du petit Rhône, et plus de 100 millions de m3 inondent la Camargue. Lors de cette crue, le Rhône aura évacué, à Beaucaire, un débit d'environ 9.800 m3/s. Lors des grandes crues de 1840 et 1856, le fleuve avait évacué respectivement des débits de l'ordre de 13.000 et 12.500 m3/s. 2) Crues de janvier 1994 : 3 janvier 1994 : L'état d'alerte a été mis en vigueur dans l'après-midi sur tout le bassin du Rhône ; la cote d'alerte a été très vite dépassée à Tarascon-Beaucaire sur le fleuve dont les affluents étaient en crue. Dans cette région du Sud-Est et au sein de précipitations généralisées supérieures à 50 mm, se forme un noyau plus dense, axé Nord-Sud, positionné à l'Est du Mont-Ventoux, où les précipitations plus denses sont supérieures à 100 mm et atteignent localement 300 mm. 7 janvier 1994 : En Vaucluse, un affluent de la Durance, la Calavon, est l'objet d'une crue très violente qui produit de très sérieux dégâts. Son débit maximum est d'environ 130 m3/s pour un débit normal d'environ 20 m3/s. Dans le Val de Durance, la Durance et ses affluents connaissent des débits très importants, supérieurs à ceux de la crue d'octobre 1993 : 2800 m3/s à Cadarache. La région de Mallemort est submergée. En soirée, le débit de la Durance atteint 3400 m3/s à sa confluence avec le Rhône. Il faut remonter en 1924, voire au mois de novembre 1906, pour trouver une telle crue d'un ordre bien supérieur à la crue décennale compte tenu de l'écrêtement (environ 600 m3/s) permis par les aménagements réalisés depuis 1960. En Vaucluse, la crue de l'Ouvèze submerge la zone de Bédarrides où des dizaines d'habitants doivent être sauvés par hélitreuillage (1000 hectares inondés). 3000 hectares sont inondés en amont du Confluent de l'Ardèche ; des villages comme La Palud et La Motte-du-Rhône sont sous les eaux à la suite d'une rupture de digue. A Fontaine-de-Vaucluse, la source connaît une crue historique dont le maximum sera atteint à 23,80 mètres. 8 janvier 1994 : Bien que la crue ait été plus importante (11.000 m3/s) que celle de l'automne 1993, la situation a été maîtrisée plus facilement : — Environ 50 millions de m3 seront déversés au lieu de 135 millions. — 6.400 hectares seront inondés au lieu de 13.000. — La décrue est générale le 14 janvier 1994, et le retour à une situation normale s'opère dans la journée du 20 janvier 1994. Les travaux très importants de restauration pourront être entamés. |