LE
VILAIN PETIT CANARD ?
Samedi
18/02/2006
Ainsi donc, la
grippe aviaire a fait brutalement interruption sur le
territoire français, suite à la découverte
de la dépouille d’un fuligule milouin (canard
migrateur), sur une comme de l’Ain, dans la région
d’étangs de la Dombes.
Après
la Turquie, l’Italie, l’Allemagne, l’Autriche,
le virus H5N1 conforte sa présence sur le territoire
européen. Et c’est l’ensemble de l’Ancien
Monde, Afrique incluse, qui se trouve confronté à
ce qui n’est, pour l’heure, qu’une
épizootie, au plus un zoonose (maladie transmissible,
dans des cas extrêmes, d’oiseau à humain).
Il
serait tentant - et les médias ont abondamment commenté
cette question au cours des dernières semaines - de
faire porter le chapeau aux seuls oiseaux migrateurs. C’est
oublier un peu vite que le virus H5N1 a pour épicentre
les élevages industriels de volailles du continent
asiatique qui pourvoient, dans des conditions sanitaires
discutables, à un apport protéiniques répondant
à la demande de plusieurs milliards d’individus.
On
ne saura sans doute jamais si le virus dont il est question a
gagné les anciennes républiques soviétiques
et la Russie via les oiseaux migrateurs (sur une voie
est-ouest fortement décalée du flux migratoire
orienté nord-sud) ou plus probablement par le commerce
des volailles, le long de l’axe de communication que
constitue l’Orient-Express.
Toutefois,
l’arrivée récente du virus en Afrique
paraît s’inscrire dans le cadre d’une
importation considérable de volailles asiatiques. Le
ministre de l’agriculture du Nigeria a d’ailleurs
reconnu publiquement que son pays servait de réceptacle
quotidien à un flux de poussins chinois introduits
illicitement, sans contrôle sanitaire.
Le
canard fuligule retrouvé infecté en France avait
probablement fréquenté préalablement un
foyer de l’épizootie non détecté en
Europe centrale.
Le
mois de janvier ayant été particulièrement
rigoureux chez nos voisins, des flots importants de canards
sauvages ont été chassés de ces contrées
par le gel des étangs et des lacs. Les latitudes
méridionales ont donc servi de reposoir à ces
mouvements d’exode climatique de l’avifaune
aquatique.
S’agissant
des cygnes trouvés contaminés dans plusieurs
pays d’Europe, il est permis d’imaginer qu’ils
aient pu fréquenter, avant les fortes chutes de neige
de janvier, des labours sur lesquels des résidus de
litière animale (paille et fientes des élevages
industriels de volailles) ont été éparpillés
pour servir de fertilisant. Car H5N1 résiste très
bien au froid, y compris à la surface su sol (également
dans l’eau).
A
l’heure qu’il est, des centaines de milliers
d’oiseaux aquatiques s’apprêtent à
remonter d’Afrique tropicale pour nicher entre le
Maghreb et la zone arctique.
On
peut craindre que la contamination des élevages de
volaille du Nigeria et peut-être des pays limitrophes
nous apporte son lot de canards et de petits échassiers
porteurs du virus de la grippe aviaire.
Car
la France, de sa par sa position géographique, sert de
véritable plaque tournante à la migration des
oiseaux.
Les
ornithologues français du réseau associatif
s’inquiètent à juste titre que leur action
pour la protection des oiseaux sauvages (qui commençait
à porter ses fruits, avec un engouement récent
du public pour « le peuple migrateur »
(*)) soit balayée par l’intrusion en France de
H5N1 par le biais d’un canard sauvage.
Alors,
il serait important que les médias rétablissent
cette vérité : à savoir qu’il
n’y a pas de « vilain petit canards » ;
que les oiseaux de notre ciel sont avant tout les victimes
d’un système économique humain mondialisé,
prêt à prendre tous les risques pour nourrir plus
de 6 milliards de personnes.
Yves
THONNERIEUX,
de
l’association des Journalistes-écrivains pour la
Nature et l’Ecologie (autour du livre « Canards »,
Sud-Ouest Editions, septembre 2005)
(*)
titre d’un documentaire animalier qui a connu son
heure de gloire sur grand écran et en DVD.
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