VILLES
Michel Poncet
VILLE ET INDUSTRIE.
Rome eut jusqu'à deux millions d'habitants et si le Paris
du XIVe n'en comptait que deux cent mille — l'importance de Valence — le
réseau de villes héritées de l'époque gallo-romaine restait très dense. On
peut, sans exagération dire de la civilisation occidentale (deux à trois
mille ans d'histoire) que c'est une civilisation urbaine, dans la mesure où
la campagne est inféodée aux villes, au plan politique, comme au plan
productif (hormis, peut-être la parenthèse assez longue de l'époque féodale).
Jusqu'au XIXe siècle, les villes se développent selon un
schéma unique : expression et outil du (des) pouvoir(s), elles sont le
centre des cohérences territoriales (l'espace rural est organisé en strates
fonctionnelles radio-concentriques autour de chaque ville). Elles ne sont pas
spécialisées autrement que sur le plan de la hiérarchie politique. Elles sont
le principal - sinon l'unique vecteur culturel, la source du progrès (les
universités sont urbaines, bien évidemment ; les révolutions qui aboutissent
le sont aussi, malgré les innombrables jacqueries).
D'une façon générale, les villes font l'objet
d'investissements considérables : les cœurs de nos villes modernes hérités de
la Renaissance, puis des XVIIe et XVIIIe sont de véritables musées (Paris,
Florence, Venise, Rome, mais aussi Lyon, Chambéry, Annecy....).
Réseaux concurrents aux villes, parce que l'expression
d'un pouvoir spirituel qui cherchait — parfois — à se différencier du pouvoir
temporel, les sites religieux dont l'apogée est atteinte au Moyen Age (époque
la moins urbaine de notre civilisation), structurent aussi la campagne sur un
mode quasi urbain ; très vite, ces sites vont se transformer en ville (Cluny)
ou se fossiliser (Senanque, Thoronet).
Au XIXe siècle, la révolution industrielle entraîne la
déstructuration des tissus urbains existants et bouleverse un réseau urbain
qui se survivait depuis deux mille ans.
Les zones industrielles occupent la première périphérie
des villes, des banlieues plus ou moins résidentielles se développant en
deuxième périphérie. Le développement de villes — industrielles — se fait
autour des ressources minières (Saint Etienne) ou énergétiques. Celui des
moyens de communication fait éclater les territoires d'influence. Les villes
se spécialisent ; ville de pouvoir : préfecture uniquement (Chambéry), ville
industrielle (Saint-Etienne), ville d'eaux (Aix-les-Bains), marché agricole
(Bourg-en-Bresse). Les moyens de transports individuels se multipliant
(hippomobile puis automobile) font éclater la rue, structure traditionnelle
de la ville, et conduisent à sa dédensification. L'investissement urbain se
réduit (ou plutôt ne suit pas le développement exponentiel des villes) et
surtout change d'objet. La ville, jusqu'au XIXe siècle, est un décor fait
pour la fête - le caractère ludique de la cité est le moyen de l'ordre
politique.
La ville du XIXe
va être conçue pour le maintien de l'ordre (les percements d'Haussmann,
la rue de la République à Lyon, en sont l'expression la plus spectaculaire)
et la productivité.
Au XXe siècle, la ville en tant qu'élément fondamental de
civilisation, est en crise, et ce d'autant qu'on assiste à une urbanisation
qui s'accélère de manière phénoménale sur toute la planète, du fait d'une
industrialisation quasi générale et d'un développement démographique
galopant. Des théories urbaines vont voir le jour notamment dans la première
moitié du XIXe siècle (époque favorable à toutes les remises en cause).
L'architecte-urbaniste lyonnais, Tony Garnier, très
influencé par Emile Zola, est, avec sa « cité industrielle » le père d'une
théorie « hy-giéniste » et « fonctionnelle » autour du fait
industriel, moteur de la so-ciété moderne.
Le mouvement moderne (Le Corbusier) propose l'éclatement
de la ville dans un cadre rural (utopie pré-écologiste).
Dès la Libération, nos sociétés modernes vont être
confrontées à une nécessité de production urbaine jamais rencontrée.
Le développement quantitatif de villes existantes va
s'accélérer alors que des « villes
nouvelles » sont créées — ni hilo. Les solutions mises en œuvre — sur un mode
misérabiliste et surtout réducteur — sont tirées plus ou moins implicitement des
théories du Mouvement Moderne (Charte d'Athènes) et rapidement perçues comme
un échec.
Il est vrai que l'effort urbain, jusqu'au XVIIIe siècle ne
concernait qu'un faible pourcentage de population vis-à-vis de laquelle
l'investissement était spectaculaire alors qu'à partir du XIXe siècle, il butte
sur des limites économiques dans la mesure où la population devient
majoritairement urbaine.
A l'aube du XXIe siècle, le problème de la ville, comme
fondement de civilisation, se repose dans tous les pays industrialisés ou en
voie d'industrialisation.
Et il est remarquable — après avoir essuyé les échecs
d'une urbanisation dans un cadre « rural, naturel » (ZUP — villes nouvelles), laissé des pans importants de
population s'essaimer dans des banlieues pavillonnaires diffuses (non-ville,
mais aussi non-campagne), cherché des palliatifs dans une architecture «
vernaculaire » — de constater que la ville devient une exigence, reprise
(notamment en France) par presque tous les courants de pensées.
La revendication urbaine est le fait, notamment, des
populations de banlieue (mais pas seulement) qui réclament : des équipements,
des transports en commun, des emplois diversifiés sur place, des centres
secondaires (aspect ludique et culturel) ; tous composants urbains (même si
tous ne s'accordent pas sur leurs importances et sur la façon de les mettre
en œuvre et en forme).
Du fait de la croissance démographique, du fait de la
productivité croissante des espaces ruraux (avec une main-d'œuvre de plus en
plus réduite), la ville sera demain le milieu naturel des hommes.
Le vieux primate qui sommeille en nous est condamné à
abandonner à tout jamais le paradis perdu qu'était sa forêt — de gré ou de
force.
C'est dans cette perspective que se situe la problématique
industrielle — sa place dans, ou hors de la ville. La réponse ne peut plus
être celle de la deuxième moitié du XIXe siècle, avec ses bassins de
main-d'œuvre localisée. Cette spécialisation spatiale a d'ailleurs
destructuré la ville. Le zonage (ségrégation fonctionnelle et ségrégation
sociale) ce n'est plus de la ville, mais du lotissement. Il est remarquable, pour prendre un exemple
proche, que le quartier lyonnais qui apparaît comme le modèle attirant toutes
les convoitises, est celui de la Croix-Rousse où s'imbriquent depuis
longtemps un panel complet des classes
sociales françaises : de la grande bourgeoisie (les familles Berliet et
Gillet y résidaient) au prolétariat le plus combatif (les canuts) ; toutes
les couches professionnelles (industriels – artisans – commerçants –
enseignants – religieux – ouvriers – etc...) ; le résidentiel et le productif
; chaque îlot de la vieille Croix-Rousse étant un patchwork d'immeubles
résidentiels et d'immeubles industriels ou artisanaux, de locaux commerciaux
et de bureaux.
La crise économique du monde occidental, présentée comme
la crise du mode de production industrielle, plutôt que comme une crise
structurelle du capitalisme — ou du socialisme — a donné à l'industrie une
connotation négative : l'industrie est le mal (et les images industrielles
archaïques, qui nous arrivent de l'Europe de l'Est, n'arrangent rien).
Parallèlement, les emplois industriels se réduisent
rapidement — à productivité identique ou accrue — au détriment des emplois
tertiaires qui s'enflent. Tout cela induit un phénomène de rejet du monde
industriel de la part des populations, soigneusement entretenu au nom de la
qualité de la vie, pour conforter le volant de chômage, le redéploiement
industriel, la société à deux vitesses, etc..
D'aucuns — des fonctionnaires notamment — n'hésitent pas à
critiquer les scandales environnementaux justifiés par la création d'emploi.
Dans ce contexte, la nécessaire maîtrise du risque
industriel (qui dépasse souvent le simple espace urbain comme l'a démontré
l'accident de Tchernobyl) peut conduire à un nouvel éclatement de ville.
C'est, notamment, à quoi conduisent les périmètres de vigilance, au nom
desquels, des villes comme Feyzin, Pont-de-Claix, Saint-Fons, etc.. sont
condamnées à disparaître — ou à évacuer leurs industries... que l'on
implantera où ? A la campagne, multipliant
ainsi les échanges entre lieux d'emploi et lieux de résidence, entre lieux de
production et lieux de consommation ?
Si des usines sont à risques, elles le sont aussi bien
pour l'envi-ronnement naturel que pour l'environnement urbain, et la tentation
ne sera-t-elle pas forte — en minimisant l'aspect scandaleux, parce que
spectaculaire, du risque immédiat sur les hommes — d'oublier de prendre les
mesures de réductions nécessaires ?
Les périmètres de vigilance, nous dit-on, ne visent pas à
interdire le développement urbain, mais à générer une autre forme
d'urbanisme, de civisme.
S'il faut les règles d'habitat et de comportement
individuel propres à certains secteurs urbains, du fait de la présence
d'industrie cela ne marchera pas car on ne sait pas faire de confinement
efficace en cas de catastrophe et le surcoût est dément puisqu'il s'applique
à des surfaces ou des volumes considérables. Ajouterais-je que — même s'ils y
sont de moins en moins nombreux — des hommes travaillent dans les usines ?
La solution est autre. On ne peut résoudre le risque par
la ségrégation spatiale.. ou sociale : c'est là, une attitude défensive,
momentanée face à une situation que l'histoire nous a léguée.
La ville est outil d'intégration, et doit être revendiquée
comme tel : l'industrie doit y trouver sa place. Il faut donc maîtriser le
risque à sa source (il peut y avoir provisoirement un obstacle technique ou
économique qui justifie d'une mesure d'exception). De cette seule façon, on
réduira les transhumances habitat / travail, production / con-sommation.
De cette seule façon, on obtiendra que l'usine ne soit
plus cette plaie qui pollue et enlaidit, mais une composante urbaine qui
participe au paysage, à l'animation du cadre de vie. Lui redonner sa place en
milieu urbain, c'est exiger qu'elle soit dans la ville, au même titre et avec
la même qualité, que les sièges sociaux, les commerces, les établissements
religieux ou publics...
Le propos peut paraître maximaliste : il faut donc le
nuancer.
D'abord, malgré qu'il en soit « l'idéal », le Centre n'est
pas toute la ville — et inversement la ville ne peut pas être que
Centre. L'absence de ségrégation
spatiale (zonage) ne veut pas dire absence de spécialisation, de hiérarchie :
il est des équipements de quartiers, des équipements de centre, des
équipements d'agglomération, de région. On sait que le rapprochement de
fonction crée des synergies, des dynamismes. Les rues chalandes vivent par
spécialisation.
Il est des fonctions industrielles, dépendantes des outils
d'échanges — de voies ferrées, autoroutes — des fonctions industrielles
impuissantes d'animation et génératrices de perturbations circulatoires
(entrepôts)...
Le concept de ville ne peut être isolé d'une réalité plus
complexe : le réseau de villes, la connurbanisation est aujourd'hui un
fait qu'il faut gérer. Implanter des établissements industriels à
l'Isle-d'Abeau-Satolas, par exemple, c'est s'insérer dans le réseau urbain
Grenoble-Lyon-Saint-Etienne.
Vouloir donner sa place à l'usine dans la ville, c'est
avant tout renoncer à cette attitude qui consiste à juger que l'usine (ce
n'est pas vrai que pour elle) est bien « ailleurs, mais pas ici », qu'ici, il
y a risque (et pourquoi pas ailleurs), que l'usine c'est sale (pourquoi pas
propre), c'est laid (pourquoi pas
beau), déstructurant (pourquoi pas structurant), repoussant (pourquoi pas
attractif), etc... Accepter une société urbaine et industrielle, c'est se donner
les moyens de construire des usines qui participent à notre qualité de vie.
DENSITE URBAINE :
UNE NECESSITE.
La ville européenne jusqu'au XIXe siècle était très dense.
Les rares données statistiques indiquent que l'occupation des logements était
largement supérieure aux entassements les plus scandaleux que les marchands
de sommeil pratiquent avec les travailleurs immigrés. A ceci, plusieurs
explications : la structure familiale, toujours « nombreuse »,
regroupait plusieurs générations ; la ville se développait à l'intérieur d'enceintes défensives qui
limitaient pour longtemps l'aire de la ville ; les équipements primaires
étaient rares (puits, fosses d'aisance, etc...) Cela conduisait à un mode de
vie très « socialisé » où le collectif primait sur l'individuel.
Les villes formaient une entité très unie notamment face
aux pouvoirs politiques (roi, église, seigneurs)... et face aux masses
rurales qui formaient l'essentiel des populations. Cela conduisait aussi, à
un tissu urbain très vivant, très équipé en commerces et en artisans. La rue
était un lieu de vie avant d'être un
axe de desserte ou de transit.
La révolution industrielle et les mutations très rapides
qui en ont découlé ont fait évoluer la ville plusieurs fois en un siècle
(entre 1850 et 1950).
L'homogénéité sociale et fonctionnelle des villes a
disparu. Des quartiers bourgeois et des quartiers prolétaires se sont
juxtaposés, les activités productrices (artisanat en récession remplacé par
l'industrie) cantonnées dans des zones spécifiques. Les villes se sont multipliées en nombre et surtout en taille
en se spécialisant en ville politique (préfecture), ville touristique (ville
d'eau), ville industrielle (ville sidérurgique implantée sur les gisements),
etc... et en perdant le caractère ludique (l'architecture, les places,
etc...) qui était le leur. La rue, comme lieu de vie, a progressivement
évolué en « lieu de transit laissant la place à l'hippomobile puis à
l'automobile ». Les quartiers « bourgeois » se sont équipés et
dédensifiés tandis que les quartiers « ouvriers », au contraire, étaient
densifiés en populations sans que les équipements suivent : le seul commerce
qui s'épanouit alors est souvent le « café » où les travailleurs épuisés vont
oublier leur quotidienneté.
Cette dégradation des villes, parallèlement à leur
expansion, a conduit au développement de théories « hygiénistes » qui
préconisaient l'éclatement de structures urbaines « archaïques » sources de
dysfonctionnements nombreux et générateurs d'habitats massivement insalubres
et leur reconstruction sur un mode diffus libérant des espaces urbains
importants pour le développement des transports, des échanges et des espaces urbains de loisirs (espaces libres
« verts ») en pied d'immeuble favorisant l'ensoleillement (la salubrité) des
logements.
Les destructions de la deuxième guerre mondiale, la
deuxième révolution industrielle qui lui a succédé et la migration massive
des ruraux vers la ville que cela a entraîné, le développement exponentiel
des moyens de transport individuels, le rétrécissement important des aires
agricoles au profit des sites susceptibles d'une exploitation toujours plus
mécanisées ont conduit à la mise en œuvre de ces solutions.
La rapidité d'exécution des nouveaux quartiers et la
multiplication des malfaçons que cela entraînait, l'absence des équipements
qui ne suivaient pas le rythme de construction des logements (quand ils
étaient prévus) une ségrégation sociale et fonctionnelle toujours plus
grande, un écart de coût et de qualité de plus en plus important entre des
logements dont le mode de production restait artisanal et les produits
industriels de plus en plus accessibles (la voiture, le frigo, la chaîne
hifi, etc...) ont nourri le désappointement puis le mécontentement. Et, avec
l'apparition du chômage, la contestation de ces nouveaux quartiers par leurs
occupants : aux listes d'attente des années 60 et 70 ont succédé les tours et
les barres vides.
Pour canaliser les déceptions, on a nourri le rêve : la
maison individuelle. La presse nationale populaire (le Parisien par exemple)
a, pendant des décennies, fait rêver ses
lecteurs par des concours, des reportages orientés.
Et dès 1972, le nombre de logements individuels construits
en France devenait plus important que celui de logements collectifs. Et aux
ZUP se sont ajoutées les banlieues pavillonnaires dont le développement était
lui aussi favorisé par la multiplication des voitures.
Aujourd'hui, la crise de la ville est là, reconnue par
tous, même si la gravité du mal n'est pas la même partout. Les centres
historiques, un moment abandonnés, paupérisés ou investis par le secteur
tertiaire sont reconquis, le caractère ludique des espaces est réaffirmé. On
enterre les transports en commun, on aménage les places, on rend piétonnes
les rues....Une ville « musée » se recrée, agréable, réservée aux plus
privilégiés.
Les quartiers plus récents souvent plus pauvres, leurs
populations comme leurs espaces, leurs architectures comme leurs équipements,
cherchent leur identité. Le mal-vivre est la règle des banlieues qu'elles
soient pavillonnaires ou collectives.
Ces échecs successifs, permanents, la montée du mouvement
écologiste et la revendication d'une plus grande prudence en matière de
« modernisation » qui l'accompagne, conduisent les populations à
contester presque systématiquement les mutations urbaines.
Les exemples sont multiples dans l'agglomération
lyonnaise, du quartier du Tonkin à celui de la Croix-Rousse.. Et les
densifications urbaines sont toujours décriées au nom de la protection des
espaces verts, au nom du scandale spéculatif (réel, mais bénéficiant surtout
aux propriétaires plus qu'aux promoteurs) au nom inavoué des situations
acquises au nom d'une « inhumanité » — notion creuse, s'il en est — des
grands immeubles.
La densification urbaine est pourtant aujourd'hui une
nécessité incontournable.
La population planétaire est de cinq milliards. Nous
serons dix milliards en 2040. La ville est le seul lieu d'accueil pour une
telle population.
La productivité agricole est un impératif pour nourrir une
telle population. Cela veut dire qu'il faut moderniser les espaces agricoles
susceptibles d'être exploités mécaniquement. Ils sont suffisamment rares et
souvent proches des villes pour être préservés d'un développement urbain
étalé.
(On considère que l'agglomération parisienne va doubler de
surface dans le demi-siècle à venir, alors qu'elle voisine les meilleures
terres agricoles françaises).
Les espaces résiduels ni agricoles ni urbains,
majoritaires, doivent eux aussi être préservés. Ils sont le parc naturel
planétaire dont la survie de dix milliards d'hommes dépend.
L'étalement des villes conduit au développement
exponentiel des moyens de transports individuels qui sont aujourd'hui une des
principales sources de pollution et représentent un gaspillage énergétique et
humain considérable.
Les transports en commun, pour atteindre le seuil de
rentabilité économique et sociale qui les fera se substituer aux transports
individuels, doivent desservir des masses importantes de population. Or, on
sait qu'un individu est dissuadé de les utiliser s'il doit parcourir plus de deux cent cinquante
mètres pour y accéder.
La densité en équipements, qu'ils soient commerciaux ou
sociaux, sont garants de la qualité de vie urbaine. Leur rationalisation,
leur mutation (les centres commerciaux remplacent les petits commerces. Les
cinémas se concentrent en multisalles, etc...) tend à les rendre plus diffus
dans les tissus urbains hérités des siècles précédents.
Seul un renforcement des densités urbaines permettra
d'obtenir une densité d'équipements garante d'une vie sociale dense, animée et
ouverte. N'est-ce pas la formulation des revendications de nos ban- lieues ?
La vie urbaine conduit à une exigence de qualité formelle
à laquelle les villes d'avant les révolutions industrielles ont parfaitement
répondu. Seule cette qualité permet au « vieux primate » qui sommeille en
nous de bien vivre son « zoo urbain ». Or, les investissements pour « faire
la ville belle » sont considérables.
Pour cette raison aussi, il faut limiter le développement
des aires urbaines afin d'amortir les investissements de parure : la qualité
architecturale, la qualité des
éclairages, des revêtements de sol, des places, des quartiers, des
vitrines, etc... ont un coût élevé que seul justifie et permet un bénéfice
social garanti.
Densité urbaine ne veut, toutefois, pas dire gigantisme
urbain.
On ne sait pas gérer les mégalopoles de quinze ou trente
millions d'habitants qui se profilent et déjà existent (Mexico, New-York,
Tokyo, etc...)
Les plus grandes villes de la planète sont en faillite.
A l'opposé, il est des seuils critiques pour que la ville
(ou le réseau de villes) apporte à ses habitants des équipements de haut
niveau, des services pointus, une dynamique économique forte, une image
identifiable (au plan du paysage, de la culture).
Cela implique de favoriser le développement des villes
moyennes (deux à trois millions d'habitants) dont on constate qu'elles
offrent l'attrait maximum sans générer les échecs sociaux et économiques des
grandes mégalopoles.
LA MAISON
INDIVIDUELLE : MYTHES....
MAISON INDIVIDUELLE = HABITAT TRADITIONNEL.
Tout citadin ou
presque a des ancêtres ruraux proches dont la mémoire survit encore très fort
servant de référence à un passé rural idyllique d'un temps où il faisait « bon vivre ».
L'habitat de cet ancêtre était, bien sûr, la ferme, forme
première et primaire de la maison individuelle.
MAISON INDIVIDUELLE
= SYMBIOSE AVEC LA NATURE.
La ville, l'habitat collectif donc, ce sont les pollutions, les contraintes, le bruit, le
voisinage surtout, jamais choisi et
toujours supporté, sale, bruyant et agressif.
La maison individuelle apporte l'isolement, le silence, la
quiétude, les espaces verts, le jardin, voire la piscine !
MAISON INDIVIDUELLE
= ELEVATION SOCIALE.
La maison individuelle n'est-elle pas depuis toujours
l'habitat privilégié des « privilégiés » : de la villa romaine au château
renaissance pour finir par la maison bourgeoise qui servait à urbaniser des
coteaux ensoleillés des banlieues chics du XIXe siècle ! Le rêve, enfin
accessible grâce au progrès social et technique. Qui n'a pas lu cette
publicité : « Pour le prix d'un loyer, devenez propriétaire de votre maison »
?
MAISON INDIVIDUELLE =RECONNAISSANCE DU « MOI ».
La maison individuelle n'est-ce pas une façon d'échapper à
l'anonymat des grands ensembles et de la ville, de construire un décor qui
épouse ses aspirations, ses besoins et, si on a quatre sous pour réaliser une
solide clôture, le moyen de marquer et limiter son territoire.
MAISON INDIVIDUELLE
= ART DE VIVRE.
La maison individuelle n'est-elle pas l'outil urbain du
grand individualiste anglosaxon, ce maître du « gentil home et du carré de
gazon », d'un art de vivre modèle planétaire qu'essaient vainement d'i-miter
leurs lointains cousins américains ?
MAISON INDIVIDUELLE
= REFUGE CONTRE LE PROGRES (Dévastateur,
naturellement !)
La maison individuelle c'est le refuge des valeurs sûres.
L'artisanat contre l'industrie lors de sa construction, l'implication de la
famille dans sa conception, sa décoration.
Le témoignage d'un art de vivre ancestral, via la cheminée
(qui ne fonctionne jamais à cause des V.M.C), la convivialité du barbecue....
... ET REALITES.
LA MAISON
INDIVIDUELLE = UNE SOLUTION GEOGRA-PHIQUEMENT RESERVEE A
UNE MINORITE.
La France fait 500
000 km2. Elle a 55 000 000 d'habitants, soit environ 15 000 000 de familles.
Chaque famille dispose donc théoriquement de 3,5 hectares.
Fabuleux, n'est-ce pas ?
Mais il faut bien déduire les pentes des montagnes, les
espaces boisés, le lit des rivières, les espaces ruraux (même si ceux-ci se
réduisent) et les maraîchages, les autoroutes, les voies ferrées, les canaux,
les zones industrielles, les villes... etc et puis faire place aux milieux
naturels, protéger les littoraux (un peu) conserver de l'espace pour les
aires de loisirs... Dès lors, combien reste-t-il pour chaque famille ? 1%,
2%, 4 % maximum, soit entre 35O et 15OO m2 dont une part importante est
consommée par les voiries de desserte et les espaces verts communs (on compte
3O à 35 % d'espaces collectifs pour un lotissement). On peut chipoter ce
pourcentage, peu importe. Il montre que la maison individuelle, dans les pays
de densité européenne, ne peut en aucun cas être la solution de monsieur tout
le monde, mais la solution de quelques-uns, privilégiés ou non.
Et la population planétaire ne se stabilise pas, elle
augmente très vite. La maison individuelle, non seulement ne peut pas
répondre aux besoins du plus grand nombre, mais elle grève l'avenir en
simples termes de « surface du territoire constructible ».
LA MAISON
INDIVIDUELLE N'EST PAS UN MODE D'HABITAT TRADITIONNEL.
L'archétype du lotissement est le village.
Or, quoi de plus différent d'un village qu'un lotissement.
Au plan de l'organisation d'abord : dans le premier cas, on a un regroupement
de bâtiments autour d'équipements (puits, petits commerces, artisans, etc....
en vue d'exploiter un territoire (agriculture, élevage, etc...), chaque
bâtiment est lui-même un ensemble
complexe réunissant les bâtiments d'exploitation, de stockage, etc.... La
partie « habitation » n'étant qu'une partie, souvent modeste de l'ensemble.
Dans le deuxième cas, on a une juxtaposition de logements
unifamiliaux plus ou moins habilement ordonnés. Dans le premier cas on a «
intégration au paysage » dans la mesure où les habitants façonnent ce paysage
et leur logis résulte de ce façonnage autant qu'il y participe. Dans le
deuxième cas, on a « artificialisation » du paysage. L'échelle des maisons
est en rupture avec le site d'accueil. Le lotissement est posé sur un site
qui vit et évolue indépendamment de lui.
LA MAISON
INDIVIDUELLE NE CREE PAS DE LA « VILLE».
L'organisation urbaine génère et nécessite des équipements
qui ne fonctionnent qu'à partir d'un certain seuil de population desservie,
qu'à partir d'une certaine densité urbaine. Les cinémas, par exemple, ne
survivent que dans les centres.
Et cela est vrai pour tous les équipements ludiques ou
culturels mais aussi pour les services sociaux, les transports en commun,
voire les petits commerces.
Seules les grandes surfaces se nourrissent d'une
population diffuse car l'une et l'autre sont le produit de la généralisation
de la voiture.
Par ailleurs, non seulement les banlieues de maisons
individuelles ne génèrent pas les services nécessaires, mais coûtent cher à
la collectivité, car elles sont grosses consommatrices d'infrastructures :
les réseaux, les voiries, le service de distribution (relevé de compteur, P
et T etc...) sont multipliés en proportion de la dédensification.
Résultantes, entre autres, du développement des modes de
transport individuels, les banlieues pavillonnaires en justifie
l'accroissement exponentiel : maison
individuelle = auto-plus, et non auto-stop.
La maison individuelle n'est pas un outil de développement
urbain, mais un facteur de destructuration des villes.
L'examen objectif des réalités socio-économiques conduit
les urbanistes à réserver l'usage de la maison individuelle à la seule
gestion et au seul développement des villages et des bourgs.
LA MAISON
INDIVIDUELLE EST UN OBSTACLE A L'AMENAGEMENT RATIONNEL DU TERRITOIRE.
Grosse consommatrice d'espace, la maison individuelle sous
sa forme organisée repousse toujours plus loin les limites de la ville,
détruit les maraîchages, les espaces verts de proximité et, sous sa forme
diffuse, encore plus insidieuse, « mite » le paysage intersticiel entre les
pôles urbains, compromettant l'agriculture rationnelle, déséquilibrant les
espaces naturels résiduels, s'appropriant l'espace, non seulement de son
emprise, mais dans son « environnement » au sens large : au nom de la défense
de la qualité de la vie d'une petite minorité, les autoroutes de
contournement, les aéroports, les gares de TGV s'éloignent de plus en plus
des villes, faisant perdre en accessibilité les gains formidables que leur
spécificité apporte.
Réaliser aujourd'hui en France une infrastructure linéaire
d'intérêt collectif, c'est se heurter au lobby des résidents éparpillés pour
qui il faudrait tout sacrifier : le vignoble, le paysage, les finances de
l'Etat : le TGV sud-est en est l'exemple type !
LA MAISON INDIVIDUELLE
NE RESOUD PAS LES PROBLEMES GENERES PAR L'HABITAT COLLECTIF.
LE BRUIT :
Un voisin de palier trop bruyant.
Qui n'en a pas pâti ?
Mais le remède est dans l'isolation phonique des logements
plus que dans la maison individuelle : quel isolement apporte une maison
ceinturée de quatre ou cinq mètres de terrain privatif vis-à-vis de la maison
voisine rigoureusement semblable ? Les cris des enfants, les aboiements du
chien, le poste à pleine puissance, les portières qui claquent vous agressent
mieux encore ici qu'entre deux appartements voisins d'un même immeuble.
LA NATURE.
Peut-on appeler Nature les trois cents mètres carrés de
potager péniblement entretenus à l'ombre des clôtures dont chaque maison
in-dividuelle se pare ?
Des clôtures, parlons-en. Est-ce bien la symbiose avec la
nature, la liberté, qu'on recherche ?
Quel symbole de défense contre un environnement perçu
comme agressif représentent ces clôtures que chacun s'emploie à réaliser vite
et bien, souvent au détriment de la maison !!! Ne serait-ce pas plutôt le
vieux primate qui sommeille en chacun de nous qui retrouve là ses instincts
et marque son territoire. On n'impose pas facilement silence au vieux
primate, mais avec bientôt douze milliards d'hommes, il faudra bien le
museler et substituer l'intelligence à l'instinct, la générosité à l'égoïsme
ou alors s'engager dans un génocide monstrueux.
UN ART DE
VIVRE.
L'art de vivre, est malheureusement plus qu'aléatoire dans
beaucoup de cas. La cohorte des endettés irrémédiables est une cohorte
d'acquéreurs de maison individuelle,
car si le tissu pavillonnaire ne génère pas d'équipement, il génère la
deuxième puis la troisième voiture, les temps de trajet habitat-travail, les
temps de trajet habitat-école, habitat-commerce, habitat-cinéma. Ce qu'on ne
paie pas sous une forme, on le paie plus cher sous une autre, directement ou
indirectement. Est-ce là, la qualité de la vie ?
Beaucoup plus grave, l'habitat individuel « urbain »
conduit à l'isolement, au repli sur soi-même, à l'égoïsme social. Pour ne
plus affronter quelques voisins, on se coupe du réseau des relations de
voisinage, que ce soit le petit commerçant, la concierge ou le gardien, s'ils
ne se conduisent pas en adjudant, les rencontres diverses qu'on fait dans la
ville à l'occasion du shopping ou de la promenade du bébé dans le parc le
plus proche.
L'AFFIRMATION DU
MOI.
L'habitat collectif c'est l'anonymat certes (seule la
classe sociale transparaît selon le quartier : le standing....) mais le
lotissement est-il bien l'affirmation de son individualité ? Qu'on me montre
une diffé-rence architecturale entre le pavillon Phénix et un pavillon
Bouygues. Un type IV de 85 m2 ce
n'est jamais qu'un petit cube peint en rose ou en beige, sans rapport
d'échelle et de fonction avec son territoire.
L'affirmation de l'identité à travers l'habitat individuel
peut se faire, quand, au nécessaire, on ajoute — généreusement — le superflu,
que le potager devient parc, la clôture Renzi devient grille, le Type IV ou V
devient type X ou plus.
C'est alors un projet culturel pour milliardaire dont
l'habitat est un « manifeste » d'architecte pour revue spécialisée.
Ajouterais-je que bien souvent le modèle culturel qui
conduit au choix des formes n'est guère « d'avant garde » mais «
réactionnaire ». Le pastiche de style, le plus souvent médiocre, est ce qui
conduit au choix du concepteur, à tel point qu'au plan spéculatif une maison
« trop moderne » est un produit invendable !!!
L'ARBRE DANS LA
VILLE.
Les hommes ont façonné la planète, ils ont créé les villes
leur propre milieu.
L'espace vert urbain, même s'il symbolise la nature
originelle face à la créativité humaine, le vivant face au minéral avec
lequel les hommes sculptent et organisent leur espace n'échappe pas à cette
artificialité.
Bien sûr, il existe ici ou là quelques « coulées vertes »
relictuelles mais surtout inaccessibles et inconstructibles qui n'améliorent
guère l'image de la cité, si elles ne la dégradent pas. Et si la communauté
dégage les moyens de les aménager, ces résidus « sauvages » se
transforment en parcs gradins beaucoup plus attrayants esthétiquement et
beaucoup plus accessibles à tous.
Non seulement l'espace vert urbain relève, dans sa
conception, de l'art des Parc et Jardins et non de l'écologie, même si le
terme d'« écologie urbaine » devient aujourd'hui à la mode pour des
motifs surtout politiciens, mais les essences utilisées ne peuvent garder
leur pureté originale pour des raisons techniques d'adaptation à des milieux
artificiels ou esthétiques. Les hommes font subir aux arbres les mêmes
mutations qu'ils ont provoquées chez les animaux pour la satisfaction de
leurs besoins ; l'arbre urbain est aussi loin de ses origines que l'est un
Chihuahua ou un Braque du chien sauvage qui accompagnait nos ancêtres des
cavernes.
L'arbre en ville ne peut pas être un moyen d'équilibre
face à des excès minéraux mais un outil de composition urbaine parmi les
autres.
Il est l'outil qui différencie l'avenue de la rue.
Il est l'outil qui décore les places.
Il est l'outil de prédilection pour les espaces de
récréation : les parcs et les squares, les bois périurbains.
Il est l'outil esthétique qui permet d'apporter des
couleurs et des formes en des lieux bien précis, qui permet de souligner des
fonctions, de satisfaire des besoins, de différencier des quartiers.
Il s'emploie comme la pierre, le bitume, le béton, même si
sa technicité est spécifique. On le taille, on le modèle, ou le soumet à des
besoins précis.
Il est tout, sauf naturel, sauf sauvage. Au demeurant, les
villes inféodent les espaces périphériques. L'espace agricole n'a plus
grand-chose de naturel : si les haies bocagères sont nécessaires à une bonne
gestion de cet espace, elles n'ont rien de naturel, même si les essences qui
les composent le sont encore.
La planète, pour rester accueillante aux hommes, doit
conserver des espaces sauvages naturels, qu'il faut préserver à l'échelle
régionale, nationale, continentale et planétaire. Mais c'est un non sens que
d'assimiler les espaces verts urbains ou périurbains à une trame écologique
qu'il conviendrait de sauvegarder ou d'aménager. Ils ont une fonction
tellement autre que ce serait s'engager dans une impasse que de les assimiler
l'un à l'autre.
La protection des premiers passe par une volonté politique
et puisque tel est le sujet traité, par une maîtrise urbaine forte à laquelle
participe justement les seconds. Il ne faut pas se tromper, ni d'objectif, ni
d'échelle. La ville a ses exigences qu'il faut satisfaire pour mieux
préserver ce qui n'est pas la ville. Un « écosystème » n'a pas sa place dans
nos villes ni même dans nos banlieues. Les survivances ne sont souvent que de
faibles caricatures des milieux d'origine qui n'ont de sens que pour des
spécialistes et d'usage pour personne. L'acte muséographique en matière de milieu
naturel doit être bien pensé. Sa situation, son contexte, son échelle doivent
lui permettre de durer. Et l'acte muséographique est bien évidemment
insuffisant.
Pour revenir à l'arbre urbain, sachons lui reconnaître son
rôle, sa fonction, c'est comme cela qu'on lui accordera son importance qui
est grande et négligée car le décor urbain est cher, difficilement réalisable
à la même vitesse que l'urbanisation exponentielle de cette deuxième moitié
du XXème siècle.
Vivant, il a gardé son rythme de croissance, sa durée de
vie : ceux-ci se téléscopent avec les rythmes du devenir urbain. Comme on ne
peut pas les accorder, soyons patients autant qu'exigeant.
VILLE ET CULTURE.
Développement urbain et progression culturelle vont de
pair. Les outils, les manifestations, les moyens d'acquisition, de
participation à la culture sont urbains, de plus en plus urbains, de plus en
plus exclusivement urbains.
On opposera les mégalopoles du tiers monde et ses masses
de population « hallucinées », orphelines de toutes ses richesses
cultu-relles : savoir-faire agricole ou artisanal, symbiose avec les
milieux « naturels », mysticisme générateur de créativité — et non plus
d'into-lérance — identités fortes et contrastées, acquises lentement au fil
des siècles (de labeurs et de souffrances, qui expliquent aussi la ruée de
ces populations rurales vers ces mégalopoles dantesques). Mais justement, ces
mégalopoles de huit, dix, douze, voire bientôt trente ou quarante millions
d'habitants ne sont pas des villes, mais des camps de réfugiés économiques.
La ville n'est pas le simple rassemblement d'hommes sur un
territoire exigu, c'est autant et plus encore que pour les campagnes
millénaires, d'abord une histoire qui fonde la cité - et ces mégalopoles qui
s'enflent en quelques années n'en ont justement pas. C'est ensuite une
culture urbaine de chaque citoyen qui sait utiliser la ville, y être dans son
milieu comme les chasseurs, il y a quelques centaines d'années en Amérique,
quelques millénaires en Europe, savaient utiliser les ressources du milieu
sauvage.
Ce sont aussi et surtout des outils techniques élaborés
qui conditionnent le bon fonctionnement urbain, des équipements nombreux, des
réseaux d'assistance et de solidarité, toutes choses inexistantes dans la
mégalopole du tiers-monde.
La ville est un produit culturel, un amoncellement de
moyens et d'outils culturels : quand, pour les élections municipales de 1971
et 1977, on vit des équipes fonder leur discours sur des programmes
d'urbanisme, ce fut bien pour répondre à l'attente de citoyens qui ne
trouvaient plus la ville. La croissance urbaine accélérée dans les années
d'après-guerre, pour répondre au triple besoin de la reconstruction de la
deuxième révolution industrielle et de la poussée démographique, avait
transformé les villes françaises en simples cités dortoirs : équipements,
infrastructures, transports en commun, équipements sociaux, commerciaux —
voire religieux — et surtout culturels (scolaires, professionnels, ou
ludiques) faisaient cruellement défaut (sans parler de l'absence de
considérations esthétiques de l'architecture domestique).
On vit même se faire élire ici ou là, des municipalités
sur des programmes purement culturels (à Oyonnax par exemple, une
municipalité d'union de la gauche, met au cœur de son programme un centre
culturel, premier ferment d'une centralité urbaine perdue avec le
développement exponentiel de l'après-guerre, et parce qu'il n'existe, dans
cette ville, qu'un cinéma spécialisé en seuls films classés X. Elle est,
contre toute attente, élue).
Le premier vecteur culturel est l'enseignement. Si les
premiers efforts des Républiques — l'enseignement laïc et obligatoire —
couvrent les territoires ruraux et urbains d'un réseau dense d'écoles
primaires, c'est dans les chefs-lieux de canton que s'implantent les
collèges, dans les chefs-lieux de département que s'implantent les lycées
dans les grandes cités régionales que se retrouvent les universités, dans les
trois ou quatre plus grandes villes, les grandes écoles. Avec la Renaissance
déjà, les plus grandes villes rayonnaient grâce à leurs écoles : Paris et sa
Sorbonne, Montpellier et son Université de Médecine...
Et quand, dans les années soixante, l'explosion
démographique universitaire conduit à la construction de campus loin des
centres, ou bien ceux-ci ne fonctionnent pas — devenant de tristes ghettos —
ou rapidement structurent un développement urbain.
La ruralité occidentale a produit un type de culture (un
seul modèle à plusieurs variantes) qui s'est pérennisé, tant que les modes de
production agraire sont restés archaïques et ont nécessité une main-d'œuvre
abondante.
Avec le progrès technique, les espaces ruraux se sont
dépeuplés et se dépeupleront de plus en plus et la culture rurale n'est plus
que tradition, dans le meilleur des cas muséographique et folklore.
La ville est outil culturel. Une fois encore ses
équipements et ses moyens — lieux d'acquisition de toutes les formes
culturelles : les théâtres, les cinémas, les librairies, les auditoriums,
opéras, média-thèques.... les musées, les galeries, les équipements scolaires
(quand ceux-ci se font rares, ce n'est plus tout à fait la ville, mais la
banlieue), et le lieu de rassemblement de toutes les formes de consommation
culturelle, de toutes les formes de curiosité et d'intérêt.
C'est le lieu de toutes les productions, des rencontres et
des échanges, qui font que les idées se forment, se propagent, se
perfectionnent deviennent œuvre d'art.
La ville est aussi, en tant que telle, objet culturel. Les
villes de la Renaissance n'ont eu d'autres fins, jusqu'à l'épuisement
quelquefois (Venise en est l'exemple le plus probant, mais Vienne aussi dont
la grandeur n'est pas tant celle de ses princes que celle de ses musiciens).
La culture urbaine retrouvée, revendiquée, le « droit à la
ville », c'est d'abord, et avant tout, une ville qui réponde de plus en plus
à tous les niveaux à une exigence esthétique autant que fonctionnelle.
Pour ses places, ses bâtiments symboles (l'église ou
l'hôtel de ville, ses banques, le siège de ses partis, de ses syndicats ou de
ses entreprises) comme pour son architecture domestique (ses commerces, ses
bistrots, les logements) et pour tous les aspects de la ville : des
transports en commun (Moscou et son métro) à l'éclairage public (Lyon mis en
scène la nuit) en passant par le mobilier urbain, la signalétique.
Les hommes construisent leur milieu (façonnent leur
planète et se façonnent eux-mêmes) au gré de leurs besoins mais aussi de
leurs fantasmes et leur imaginaire qui est sans limite puisque toujours
nourri par une remise en cause permanente des formes et des idées
produites : la créativité est sans frontière de temps, d'espace,
d'idéologie, de religion.
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